El-Boukhari Ben Essayouti de Tombouctou
Rencontre

El-Boukhari Ben Essayouti de Tombouctou

Ven 15 Mar 2013
El-Boukhari ben Essayouti, professeur de lettres à Tombouctou, Président de la Coalition malienne pour la diversité culturelle de Tombouctou et secrétaire général de l'association malienne des droits de l'homme pour cette région vient de passer quelques jours à Bègles, invité par l'association Terre-Océan.
Il a vécu l'entrée des islamistes dans sa ville le 1er avril 2012 et, après plusieurs départs notamment pour évacuer sa famille, il a quitté Tombouctou pour la dernière fois en décembre dernier. Il raconte aux Chroniques du Rocher version Internet ce qu'il a vu dans sa ville et cette région marquées par un Islam tolérant et dont la musique touarègue (de Ali Farka Touré à Tinariwen) a fait le tour du monde.


Le 1er avril 2012, qui étaient les islamistes qui sont entrés dans Tombouctou ?


C'étaient majoritairement des étrangers. Il y avait deux ou trois personnes qui étaient de Tombouctou, que l'on connaissait mais dont on ne savait pas qu'ils étaient dans la mouvance islamo-terroriste internationale. Le chef était Abou Zeid, qui enlevait les otages occidentaux, et il y avait avec lui des Algériens, des Mauritaniens, des Libyens, des Pakistanais, des Afghans… C'était vraiment une internationale islamo-terroriste.

Quelques uns étaient déjà venus à Tombouctou avant l'invasion, notamment pour prêcher.

Depuis quelques années, des Pakistanais venaient à Tombouctou et au Mali pour prêcher. A Tombouctou, quand vous dites que vous voulez prêcher dans une mosquée, en général, les imams acceptent, sans se soucier de ce que vous allez dire parce que Tombouctou est une terre d'Islam où les gens ont toujours étudié un dogme tolérant. Personne ne s'est jamais soucié d'un glissement éventuel vers le fondamentalisme. C'est un Islam très tolérant et même si on sait que le prêcheur va aller à l'encontre du dogme local, on l'écoute. Tout le monde sait que personne va prendre pour argent comptant ce qu'il dit. C'est une forme de courtoisie, ça a toujours été ainsi. Ces gens qui venaient, on savait ce qu'ils voulaient et on les a retrouvés avec les islamistes quand ils sont entrés dans la ville.

Quelles ont été les exactions des islamistes contre les personnes ?

Quand ils sont entrés, ils ont instauré la charia, la loi islamique dans toute sa rigueur. Dès le premier ou le deuxième jour, c'étaient les buveurs d'alcool qui étaient visés. Ils ont saccagé les bars et les restaurants, certains au lance-roquette. Ils se sont attaqué aux caves de boisson puis ont commencé à fouetter les buveurs d'alcool, les fumeurs de cigarettes, ceux qui se promenaient avec des femmes, les femmes qui se promenaient sans être voilées de la tête aux pieds… Ensuite, puisqu'ils ont senti qu'il n'y avait pas au sein de la population de résistance militaire, ils ont commencé les amputations de mains, ils ont créé la police islamique, la justice islamique, la prison islamique et un centre qu'ils ont appelé le « Centre de recommandation du convenable et d'interdiction du blâmable ». Il y a eu des exécutions sommaires. Le tribunal islamique rendait ses lois, il n'y avait ni avocat ni possibilité de recours.

On sait combien il y a eu de morts ?

Pour l'amputation, je pense qu'il y a eu une personne dans la ville de Tombouctou, mais beaucoup plus vers Gao. Des personnes qu'ils attrapaient dans la brousse, qu'ils prenaient à tort ou à raison pour des espions ou des anciens militaires maliens, étaient quelques fois égorgés. C'est difficile de savoir le nombre.

La population a résisté ?

Tombouctou a toujours été une ville où les populations n'ont jamais porté d'armes. On a toujours dit que les seule armes était la connaissance, le savoir, la discussion. Il y a donc eu une résistance pacifique. Toutes les fois où les islamistes ont essayé de prêcher, la population a refusé de les écouter. Quand ils sont venus dans les mosquées pour dire ce qu'ils considèrent comme étant la bonne parole, les fidèles sont sortis et ont refusé de les écouter. En représailles, les islamistes détruisaient le lendemain des mausolées de saints. Dans l'islam pratiqué à Tombouctou et au Maghreb, les mausolées représentent la vénération de saints et cela va à l'encontre de l'islam d'obédience wahhabite qu'ils prônent. Lors de la fête de la Tabaski, où tout le monde se retrouve pour une grande prière, ils ont demandé à l'imam le micro pour dire ce qu'ils pensent et pour prêcher. Mais tout le monde est parti, il ne restait que les techniciens. Ils ont prêché dans le désert… En représailles, le lendemain, ils se sont attaqués au monument du commandant Joffre et au monument de l'Indépendance, un cheval blanc symbolisant la ville, qu'ils ont rasés au bulldozer.

Vous avez arrêté d'enseigner quand ils sont arrivés.

J'ai arrêté malgré moi parce que les islamistes ont tout interdit : l'enseignement dans les écoles françaises, la philosophie, l'éducation sexuelle, la mixité dans les classes… Les écoles ont même été saccagées. C'est pour ça qu'on est parti vers le sud, on a des enfants qu'il fallait mettre à l'école.

Est-ce que vous estimez que les Touaregs se sont lourdement trompés dans l'alliance qu'ils ont conclue avec les islamistes ?

Je ne veux pas dire les Touaregs parce que je les connais bien et dans leur écrasante majorité, ils n'ont pas pris les armes. J'ai discuté avec des leaders touaregs de la première rébellion des années 90, ils m'ont dit que quand ils ont signé les accords de paix en 1996, ils ont brûlé les armes et se sont engagés, tout comme les autorités maliennes, à ne jamais rien régler par les armes. Ceux qui ont créé le Mnla en octobre 2011 et qui ont pris les armes sont majoritairement des hommes qui, depuis deux trois générations, étaient en Libye et qui servaient de mercenaires à Kadhafi. Chaque fois qu'il y avait des problèmes au Mali, Kadhafi était médiateur et il réglait la situation avec l'argent. Après la chute de Kadhafi, ces Touaregs ne se sentaient plus en sécurité en Libye, ils ont pillé des arsenaux et ont amené des armes au Mali pour créer le Mnla. Et ils ont trouvé des alliés, les islamistes qui étaient déjà dans la région. Les Touaregs de la région de Tombouctou n'ont jamais été avec les islamistes. Ce sont les Touaregs de Kidal qui ont pris les armes. Depuis la libération à Tombouctou, il n'y a aucun problème avec les Touaregs.

Comment a été perçue l'intervention de la France à Tombouctou et au Mali ?

Ca a été la joie. On avait une armée rongée par la corruption et vraiment désorganisée par le coup d'état. On n'avait aucune autre solution que l'intervention étrangère. On parlait des armées africaines mais cela tergiversait, ils ont fait une dizaine de réunions et, chaque fois, on attendait une décision de l'ONU. Chaque jour qui passait nous enfermait, nous au nord, dans une impasse. L'intervention française a soulagé tout le monde.

Cela n'a pas été ressenti comme une intervention colonialiste ?

Jamais. On a même dit que Hollande était le 334ième saint de Tombouctou… Cela s'est vu à la façon dont il a été accueilli à Tombouctou.

Concernant les manuscrits qui sont très nombreux à Tombouctou, les familles et les bibliothèques privées ont très vite réagi pour les protéger quand les islamistes sont arrivés.

Ils ont rapidement enlevés les manuscrits des rayons, ils les ont mis dans des malles, des cartons, des sacs et les ont dissimulés dans des lieux où ils étaient plus en sécurité. C'est ce qui a permis de sauver beaucoup de manuscrits. Il y a un centre de l'Etat, qui a des financeurs extérieurs et qui est sert à conserver et valoriser les manuscrits. Les fonctionnaires de cet institut ont déserté quand les islamistes sont arrivés. Il y a deux bâtiments, un ancien où il y a l'essentiel des ouvrages et un nouveau où arrivaient les manuscrits une fois scannés. C'est ce nouveau bâtiment qui a été squatté par les islamistes, ils ont volé des manuscrits et ont brûlé ceux qu'ils jugaient contraires à leur islam. On pense qu'ils en ont détruit 4000.

Comment voyez-vous l'après-guerre ?

On espère que cela va nous apporter plus de transparence dans les affaires publiques. On a vu que la communauté internationale, la France et surtout les Etats-Unis réclament des élections démocratiques. Les Maliens dans leur écrasante majorité sont convaincus que les faire au mois de juillet ne permettra que de faire des élections bâclées. Mais puisqu'on est pratiquement un pays sous tutelle aujourd'hui, les autorités de la transition ont dit qu'elles pouvaient organiser ces élections en juillet. On espère avoir un homme qui pourra bien tenir le navire.


Propos recueillis par Christophe Dabitch
El-Boukhari Ben Essayouti de Tombouctou